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L'Empereur, les généraux et le gâteau à la crème

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Le XIXe siècle comporte de nombreux avantages, comme celui de pouvoir prendre un café en terrasse même en étant en service. Dans mon beau costume rouge flamboyant de général de l'armée, cintré, reluisant, avec ses épaulettes typiques de l'époque, je sirote un café plutôt bon en compagnie de deux vieux amis et généraux eux aussi. L'établissement ne paye pas de mine, nos chaises de métal peintes en blanc non plus, mais leur café est bon. Pour le reste - ils font également pâtisserie - on repassera.

Nous sortions repus d'un déjeuner, et cette terrasse à quelques mètres de la caserne nous tendait les bras. Tandis que nous discutions de campagnes et de plan d'opération, le bruit lointain d'une troupe de cavaliers se fit de plus en plus présent. Ce n'était pas une simple troupe, mais le cortège militaire de l'Empereur. Nous pensions qu'il ne passerait que devant nous quand il s'arrêta net à notre hauteur. L'Empereur descendit de son cheval, dans sa veste bleu sombre, enleva ses gants et rentra dans le troquet-boulangerie. En un éclair nous nous êtions levés, au garde à vous, impeccables. Première fois que je le voyais en vrai. Il venait d'accéder au pouvoir. Et de plus près il ressemblait fort à l'image que je m'étais faite : petit, l'air crétin satisfait et suffisant, que l'on a posé à la tête d'un Etat pour le manier tel un pantin.

Une fois qu'il est rentré dans l'établissement, je m'approche de son premier officier. Un général lui aussi, mais pas de la même armée.
- Vous savez, la nourriture est immonde ici. Seul leur café est acceptable, lui dis-je.
- Laissez donc l'Empereur faire ses commissions où bon lui semble. Il avait faim, nous nous sommes arrêtés.
- Oui mais tout de même. Il risque de le regretter.
A ce moment le petit brun habillé de bleu ressort avec un gâteau à la crème dans une main, l'emballage en papier dans l'autre. Il commence à se goinfrer tandis que deux rangées impeccables, de bleu et de rouge, lui ouvrent le passage. Le général bleuté me lance un regard de satisfaction, constatant que notre savoir vivre et notre respect du protocole sont bien calibrés. L'Empereur fait une petite moue en engloutissant sa pâtisserie, puis la termine en se léchant les doigts. Il remonte sur son canasson, lâche un "En route" et ses sbires abandonnent leur allure guindée pour gagner leurs montures. Et la troupe s'enfuit, au galop.

Nous nous rasseyons sur nos chaises de métal, finissant notre café. Un sombre crétin, en attendant le prochain.

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